MON DERNIER RECIT 37 ( EXTRAIT)

Publié le par ANTONIO MANUEL

Je traverse la nuit, côtoyant les étoiles, comme l'équilibriste de Genet défiait la pesanteur en joignant les deux extrémités d'un songe. Pour que le jour ne se levât jamais sur la chute cruelle d'une espérance. Sur les membres défaits de s'être cru un ange.

Dans le cachot de la colonie, ma geste m'a conduit : vol, fugue, évasion vers le mystère d'une réalité tellement plus belle que cet exil pénitentiaire où j'ai fini d'apprendre que je suis moi : le poète de l'ignoble, l'écrivain de l'immonde, parés pour une célébration verbale.  L'encenseur du sordide, écarté du réel par une société qui ignore que la beauté peut être n'importe où.

Moi, le premier de ma commune au certificat d'étude primaire, le surdoué, le génie de l'écriture qui ne se doute pas encore que le scatologique et l'obscène, le sang, la salive, le sperme et les morpions conservés en mémoire de l'aimé, acquérront droit de cité au panthéon des lettres où JEAN COCTEAU et JEAN-PAUL SARTRE m'intronisent déjà.

Mais de menus larcins en vols plus importants, je vais de prisons en prisons où mes différents arrêts me laissent le temps de me souvenir de ce que fut l'essence difficile de ma vie, d'accumuler cette matière abjecte, cette réalité hideuse, cette l'aideur prosaïque, que mon imagination,exercée à ne plus voir de l'ignominie, que l'on m'a imposée, que la beauté hyperbolique et baroque, transforme en une poésie rugueuse, où la phrase célèbre, en une langue épaisse et travaillée, comme le bijou qu'un orfèvre souhaite unique, pour l'offrir à la seule personne qui importe, le nauséabond, l'odieux, l'ordurier.

Je ressemble en cela à la mère d'un récit de VIAN qui conservait pieusement la nourriture laissée par ses enfants afin de s'en délecter une fois décomposée, dégradée et corrompue, recouverte d'une putréfaction précieuse. L'amour absolu me voue à l'adoration de tout ce qui, vil, altéré, vicié, vous donnerez la nausée si je n'étais pas devenu cet expert de l'art de magnifier la pourriture, de revêtir la charogne d'un manteau de poésie qui la rend désirable comme un morceau de choix.

N'est-ce pas le comble du génie que d'assumer avec un art inégalable une fatalité qui tient sa détermination du décret de mon asociabilité ?

Ma vie est comparable par bien des aspects à celles de GIDE, DE WILDE ou  de MISHIMA.

Une revendication anti-sociale et libertaire où ma vérité est brandie comme le symbole de l'opprobre que je subis.

Incarcéré injustement pour avoir aimé un jeune homme dont le père désapprouvait l'homosexualité. Ce qui entraîna mon exil en France et ma mort dans la déchéance, la solitude et la misère, non sans avoir appris, dans ma prison de Reading, que du pire crime l'on peut composer le plus beau des poèmes que le pardon absout en proportion de son degré de gravité.

Mort par l'amour, de moi en vérité, ce double peint en une alliance diabolique qui me rappelle que de la beauté de celui pour qui je fus incarcéré, après ma mort, il ne doit plus rester, aujourd'hui, que la monstruosité repoussante de son cadavre inhumé. Quand, moi, je demeure, à tout jamais, le dandy dont l'art commua la beauté en un geste d'oblation existentielle à la lâcheté de l'homme qui m'abandonna pour un long voyage en Europe, me laissant croupir dans la geôle où m'avait précipité notre amour.

Frêle adolescent, mais jeune homme athlétique, je décidai à Vingt-quatre ans de mettre bas le masque et dans un Japon traditionaliste et phallocentrique, de dévoiler mon homosexualité dans une confession qui me rendit célèbre, exhaussant ma fascination pour la mort et mon inclination pour l'hyperbole au rang d'art consommé et vénérable. La dualité de mon existence, marié dans la réalité du quotidien et fasciné par le corps masculin dans celle, transcendante, de l'art, concourut à l'accomplissement du geste ultime et réconciliateur de la fiction de ma vérité, décrite dans mon œuvre éternelle.

Moralement brimé, harcelé par mes pulsions sexuelles, forclos au sein de moi par la notion acquise du bien et la spontanéité jouissive de ma nature, un périple en Tunisie et en Algérie m'enseigna opportunément que le devoir de tout homme est celui de se préoccuper de son bonheur. La rencontre du jeune Marc Allegret, à presque quarante ans, et la publication de CORYDON, font de moi, en ce début frileux et homophobe du vingtième siècle, le combattant hardi d'un immoralisme dont ma vie est le miroir et le paradoxe. Mais la saveur des nourritures terrestres, bien que j'invite le lecteur de mes livres à s'en détourner, en un mouvement de célébration bachique du monde, ne m'écartera jamais d'un art qui porte témoignage de ma libération, sous le regard interloqué d'une société que je défie sans crainte.


Cependant, je ne suis ni GIDE, ni MISHIMA et, si j'ai osé confondre le « je » de mon écriture avec la plume géniale de JEAN GENET, c'est juste parce que l'amour me rappelle mon adolescence enfiévrée de passions incandescentes et chastes et les lectures des auteurs qui alimentèrent,  alors, ma flamme inextinguible.

Dans la course d'une existence, les rencontres sont nombreuses. L'on est donc forcément amené à y effectuer un tri. Les livres ne m'ont jamais trahi. GIDE, GENET, MISHIMA et bien d'autres, m'ont délivré le secret toujours tu de leurs incantations magiques. A les fréquenter si souvent, j'ai surpris ça et là quelques bribes d'une formule, les ingrédients partiels d'une potion dont la lecture et l'écriture seules nous gratifient, parfois, au terme d'une ascèse à la durée variable pour chacun.

L'amour est un ferment actif de cette transformation du lecteur en auteur. Il est le levain qui de la pâte de nos lectures et de nos vies fait se lever une écriture qui retomberait comme un soufflet raté si nous ne nous en emparions pour la faire nôtre, au juste moment de sa fermentation.

( ... ) 


 

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J
BONJOUR ANTONIO<br /> Tu as tout les ingrédients pour être un grand écrivain tu nous l'a prouvé et le prouve encore aujourd'hui par tes textes qui sont magnifique ,que tu nous raconte les joies ou les peines de l'existence tes mots son plein de poésie.
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