MON DERNIER RECIT 19 (EXTRAIT)
Il y aura quarante et un ans demain que ma mère me mettait au monde.
Elle me délivrait du cauchemar d'avoir supporté l'intimité de son corps habitée par la rancœur, la jalousie, la haine de mon père qui la trompait. De n'être que cette plaie vivante d'un amour bafoué dont j'incarnais la réalité effective et le reniement.
Elle m'a porté comme le témoignage de sa souffrance d'épouse, de mère et de femme humiliée de vivre la trahison d'un sentiment passionnel dont je ne saurai jamais que la violence des pulsions mortifères et le mépris froid et délétère.
Je naquis pour être sa chose. Le symbole de sa déception et sa consolation. Elle s'appropria mon âme dans l'instant où je devins son ultime cadeau d'enfanter. Je lui appartenais. Elle me protègerait comme une hyène contre l'appétit vorace de tous et contre tout. Elle m'aimait d'un désespoir inégalable. Dans une douleur d'être et de durer que rien plus jamais n'atteindrait. Je ne la quitterais pas de mon vivant. Sa dévotion exigeait la mienne en retour. Je n'eus que le choix de ne pas ressembler à l'homme qu'elle exécrait désormais dont le souvenir de la passion des premiers jours rayonnerait sur ma vie comme l'ombre d'une mélancolie, mêlé aux parfums d'un ailleurs exotique et sacré. Le beau pays d'Algérie allait briller intensément par le manque engendré par son absence et une nostalgie irréparable. L'Algérie serait l'Eldorado de mon enfance, le secret au plus profond de moi blotti, le mystère d'un bonheur adultère, le temps mythique d'une bible personnelle où Dieu régnait sur un éden dont nous avions été chassés.