MON DERNIER RECIT 12

Publié le par ANTONIO MANUEL

Hier le pèse-personnes m'a indiqué un poids inférieur à 55 kilos. Mon anorexie ne m'effraie pas. Dans mon entourage, on me dit vraiment trop maigre. Du fait de mon mètre soixante-seize, la classification de l'O.M.S selon l'interprétation qu'elle donne de l'Indice de Masse Corporelle, m'avertit d'une dénutrition risquée pour ma santé. D'autant plus que je prends un immunosuppresseur dont la dose exacte a été choisie, en fonction de mon poids il y a un mois et demi, qui était bien plus élevé.

J'ai ressenti un certain soulagement en lisant ce poids affiché sur ma balance. Comme si ma vie n'était pas vaine. Mes efforts enfin récompensés. Quelque chose a lieu. Une transformation est à l'œuvre. La monotonie de mon existence est rompue.

J'attends. La venue de ce que je ne peux encore décrire. Etre dans le devenir est déjà un bienfait à mes yeux. Je n'en pouvais plus de moi. Le poids en lui-même est sans importance. C'est l'évolution dont il est le signe qui me satisfait. Le prologue passé, j'entre dans la seconde partie de l'intrigue. Ma vie comme un roman d'apprentissage. Un roman dont j'ignore les péripéties à venir. C'est pourquoi j'attends puisque cet élément modificateur qu'est mon poids a franchi une frontière au-delà de laquelle la situation initiale se trouve bouleversée, que se déclenche toute une série d'actions nécessaires à l'établissement du nouvel équilibre de ma vie. Ecrire chaque jour un épisode de cette fiction qu'est devenue ma vie. Tant il est vrai que la vie n'est qu'un songe que la mort vient souffler comme autrefois on éteignait le halo du chandelier pour laisser la nuit s'accomplir.

Hier soir, j'ai discuté brièvement avec un journaliste de télévision et de  radio, rencontré par hasard sur un site gay. Je lui ai parlé de mes projets, de mes livres et lui ai communiqué, à sa demande, l'adresse de mon blog. Il s'est montré tel qu'on le dit, aimable et accessible. Mais sa sympathie s'arrête là, je sais que je ne dois pas espérer de lui quoi que ce soit. Ca n'a pas mis un frein à ma curiosité qui m'a incité, ce matin, a commandé son dernier livre à la Fnac.

Longue discussion avec ma sœur au téléphone cet après-midi. Inutile car je sais d'avance ce qu'elle va me dire, quels arguments elle va employer et l'opinion qu'elle défendra inlassablement. Ce n'est pas que je ne partage pas son point de vue, au contraire, c'est que l'exposition et la volonté didactique de démonstration de sa validité m'agacent et m'impatientent car je vais invariablement acquiescer sans que cela ne modifie en rien mon attitude existentielle et ma position à l'égard de mes frères. J'ai l'impression qu'elle refuse de comprendre pourquoi je ne peux  admettre qu'ils soient psychologiquement incapables de m'accorder l'aide que je leur réclame. Je suis parfaitement conscient et bien persuadé qu'ils sont tout à fait favorablement disposés à m'assister sur le plan matériel si vraiment j'en avais besoin. Mais je n'ai que faire de leur argent. Ce n'est pas ce qui me fait cruellement défaut. Je n'ai pas été élevé dans une famille où l'argent coulait à flots mais mon père a toujours travaillé  -et il en a exercé des métiers avant de devenir cadre supérieur !- afin que nous ne manquions de rien. De rien sinon de l'affection, de la tendresse, de l'amour qu'il ne m'a pas donnés. Voilà ce que je voulais qu'ils me montrent en les sollicitant précisément pour ce dont je l'ai fait, leur affection pour moi, leur tendresse, leur amour, cette nécessité indispensable pour bien grandir et parvenir à se réaliser. Malgré ma différence, ma monstruosité qui me marginalise et m'aura détruit à la fin de l'histoire dans ces pages racontée. C'est qu'il doit en être ainsi depuis ma conception. Dans le projet même, le désir qui l'ont provoquée. C'était inscrit en lettres capitales dans le scénario dont mon existence suit fidèlement la moindre indication. Les origines populaires, ouvrières de mes parents. Leur rencontre à Sidi-bel-abbès en Algérie, leur union et les naissances successives des mes quatre frères avant l'expatriation contrainte, l'exil forcé et l'installation dans le froid, la grisaille et la pluie du nord de la France. Dans ce pays où, nul ne sait pourquoi, quinze ans après le frère cadet, deux enfants sont nés, fruit du désamour et de la nostalgie, de la mélancolie gravée en permanence dans le gris-vert des yeux de ma mère et le désenchantement infidèle et muet de mon père. Ma sœur puis moi, un peu plus tard, in extremis.

C'est leur sourire éteint qui m'a servi d'enfance et leur grelottement, sous le ciel bas et lourd, surpris de ce froid de l'hiver 1962, de fils d'une utopie éblouissante de soleil et de gaieté. Surpris et résignés qu'ils étaient à ne jamais vraiment pouvoir y remédier à grands renforts de fuel, remplissant la cuve de la chaudière, dans l'espoir incrédule que des grands radiateurs de fonte se dégage une chaleur qui n'était plus qu'un souvenir halluciné, prisonnier dans leur mémoire.

Je suis issu de ce froid, de ce ciel, de leur résignation interloquée. Je n'ai pas eu de chance voilà tout. C'est comme ça. Je devais naître le dernier et n'avoir même pas le privilège d'être la seule fille de la fratrie. Ce n'est pas faute d'avoir essayé de lui ressembler à ma sœur aînée, puisque tout le monde n'a cessé de nous confondre lorsque nous étions enfants. Aujourd'hui encore, les étrangers qui nous découvrent séparément s'étonnent de notre ressemblance. Je dois donc être beau parce que ma sœur est belle comme un vol d'hirondelles, fluide, mince, les traits délicatement dessinés, le cœur aussi grand que peut le porter son évanescence de sylphide à la peau matte de mon père, et au regard gris-vert, rare et précieux, tout en nuances indécises, de ma mère. Femme-enfant éternelle, ravissante, fragile, amoureuse d'une autre vie, imaginaire, soutenant seule de ses frêles épaules le poids de sa famille entière.

Je sais que l'approche psychologique des troubles du comportement alimentaire les considère comme des parades à une histoire sentimentale dont les traumatismes sont tels que l'invention de ces troubles du comportement alimentaire a pour but d'en détourner la conscience. La stratégie est si efficace qu'ils finissent par se substituer à la douleur des traumatismes de l'enfance dont ils témoignent tout en les dissimulant. Manger de façon excessive et compulsive ou réduire sa ration alimentaire quotidienne jusqu'à la supprimer permet d'éluder le caractère intolérable et le souvenir d'expériences d'une intense violence émotionnelle. Habitée par la tyrannie de la boulimie ou de l'anorexie nous sommes aux prises avec des problèmes qui nous obsèdent au point d'oblitérer la souffrance première qui les a inventés pour atténuer sa virulence et sa vivacité.

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M
Merci pour ton mot d'amitié sur mon blog, je découvre le tien ! Je t'apporte mon soutien dans le combat qui est le tien ! bisous Monia
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J
MON TRES CHER ANTONIO<br /> Je te retrouve,mon absence ma privé quelques jours de tes textes et tes récits sur ton enfance et ta famille me laisse toujours triste et pourtant je sais que tout ça t'aide à comprendre le pourquoi de ton mal être.Mais ne te sous estime pas tu es celui que j'admire pour ta gentillesse et ton talent d'ecrivain ceux qui t'aime pense comme moi.Je t'embrasse affectueusement Jeannette
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L
Coucou Antonio,<br /> Ne prêtes aucunement attention aux vilains corbeaux de passage, ces oiseaux de mauvaises augures qui n' ont su apprécier la beauté de ton écriture, l' émotion qui <br /> s' en dégage. Tu demandes de l' amour, où est donc le crime ? Comment te juger si facilement, alors qu' il ne se base que sur un seul de tes articles...et de façon aussi négative !Tellement petit, çà ne mérite que du mépris...<br /> Je suis certaine moi que tu en donnes de l' amour, çà se sent, çà émane de ton écrit.<br /> Merci pour tes gentils mots sur mon blog (voilà une preuve de ta grandeur d' âme) et s' il te plait accroche-toi à la vie, elle en vaut la peine, crois-moi.<br /> Je t' embrasse bien fort.
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G
mon cher antonio encor un texte ou je voi la triste que tu a il fo te battre je suis la pour te soutenir ds la tristesse comme ds le bonheur tu merite d etre enfin editer cela de redonnera envie de vivre il fo te battre
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A
Bonjour,<br /> Je n'interviens que très rarement pour répondre à un commentaire, même s'il est désobligeant comme le vôtre "depassage".<br /> je ne vais pas me défiler en vous invitant à vous attarder sur mon blog au lieu de simplement ne faire qu'y passer pour y dénoncer mon "nombrilisme" et mon "égoïsme. Vous attardez pour essayer de me comprendre et de voir la réalité telle qu'elle m'apparaît.<br /> Puisque vous n'êtes que de passage, je conçois mal la motivation qui, après lecture de ce qui n'est à vos yeux qu'un "galimatias", vous incite à me cracher votre mépris au visage, en fustigeant et ma personne et mes écrits...
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