DERRIERE LA VITRE DU SILENCE II3

Publié le par ANTONIO MANUEL

Aujourd’hui est la journée nationale contre le suicide. Longtemps je l’ai pensé comme unique voie de transcendance des obstacles qui minaient ma vie. Dans l’habitacle de ma voiture, traversant la belle forêt de Compiègne, je me représentais éjecté dans l’air libre, délesté du poids du corps par un arbre percuté, heureux, évoluant dans l’éther dans la posture du saut de l’ange. Adolescent, je ne savais pas comment mourir. Je souhaitais ardemment tomber malade, brûler de fièvre, être ainsi dispensé de quitter ma chambre et éviter d’affronter l’aridité du monde de ma quatorzième année. Chaque jour, en rentrant du collège, en plein hiver, je passais plusieurs heures dans le froid du dehors, les cheveux, le cou, le visage mouillés, dans l’espoir que la maladie m’emporte bien loin de la douleur de les avoir quittés, mes morts, mes vivants, les êtres chers que le déménagement brutal de mes parents avaient relégués dans un passé mythologique.

Sur les questionnaires scolaires, à la question de savoir quelle profession je voulais exercer dans un avenir qui m’apparaissait inconcevable, j’avais pris l’habitude de répondre : professeur de français.

L’année de la soutenance de mon mémoire de maîtrise de Lettres modernes, je m’inscrivis contre mon gré au concours du capes. Il me permettrait d’accéder à la réalité de ce choix auquel j’avais adhéré en désespoir de cause, ignorant quelle profession intégrerait mon amour des mots et mon homosexualité. J’avais vingt-trois ans, j’obtins ma maîtrise avec mention et fut reçu aux épreuves écrites et orales du capes. J’étais devenu enseignant. Je ne l’avais pas voulu. Tout s’était enchaîné avec une rapidité et une facilité déconcertantes. Mon père et ma mère ne pouvaient plus assumer les frais d’une scolarité sans fin malgré mon poste de surveillant dans un collège à temps partiel. Après la maîtrise, je me dirigeais vers un D.E.A. quand la réalité économique m’avait rappelé à l’ordre. Je fus muté à cinq cent kilomètres de l’université où j’avais suivi mes études, au Puy-en-Velay dans la Haute Loire, pour y effectuer mon année de stage pratique. Je fus frappé par la maladie avant même d’avoir eu connaissance de mon affectation provisoire. Je perdis, en deux mois, une dizaine de kilos, les vitrines des magasins me renvoyaient l’image d’un corps amaigri, à la démarche rendue pénible par la propagation de l’inflammation de mon colon aux articulations des membres inférieures. On m’avait diagnostiqué une recto-colite hémorragique ulcéreuse et le gastro-entérologue qui l’avait décelée, grâce à une coloscopie, m’avait prescrit soixante milligrammes de cortisone pour la juguler. Dans l’attente de l’action puissamment anti-inflammatoire du médicament, je fus en arrêt-maladie durant plus d’un mois. Je ne commençai d’enseigner qu’à la mi-novembre.

Ma conseillère pédagogique était une femme d’une trentaine d’années, froide d’apparence, et d’une autorité incontestée par la classe de 1ères G d’adaptation – c'est-à-dire : constituées d’élèves en provenance du lycée d’enseignement professionnel, après la réussite du B.E.P. – qu’elle avait, entre autres, en charge. Comme c’était ma première année d’enseignement, je n’avais qu’une seule classe en responsabilité, une classe de 1ères G d’adaptation également, ce pour quoi on l’avait désignée, elle précisément, afin de m’accompagner durant mon année d’apprentissage du métier d’enseignant, en plus des cours de L’Institut Universitaire de Formation des Maîtres : l’I.U.F.M. comme le monde pédagogique désignait ce qui n’était alors qu’une tentative balbutiante pour assister dans leur dure fonction des professeurs complètement ignorants de ce à quoi ils étaient confrontés. Nous étions censés, en tant que stagiaires, ne pas avoir de classe soumise à un examen en fin d’année : l’Epreuve anticipée du baccalauréat de français attendait les élèves que l’on m’avait confiés. Ma conseillère pédagogique, pour qui je garde un souvenir ému et reconnaissant, était en réalité une personne sensible, cultivée, scrupuleuse et incarnant sa fonction de tutorat avec tout le sérieux et le soucis de bien faire que l’on pouvait attendre d’elle. Bien qu’elle me félicitât régulièrement pour la tâche qui m’incombait et m’épaulât du mieux qu’elle put, je conservai à son égard une distance admirative et respectueuse. Et puis, mon homosexualité m’interdisait une proximité que le caractère très catholique et austère de la ville ne favorisait pas. A mes yeux, et sans doute à tort, elle symbolisait la respectabilité, la dignité et la rigueur intransigeante qui enveloppait le Puy-en-Velay. La semaine précédant chaque congé scolaire, je trouvais dans mon casier un recueil de poèmes dédicacé par l’auteur, originaire du lieu et enseignant tout comme nous. Elle n’avait pas manqué de remarquer que j’affectionnais la poésie, ayant d’ailleurs consacré mon mémoire de Maîtrise à l’étude de deux recueils de Paul ELUARD. Pour ces gestes, qu’elle soit à nouveau ici remerciée et pour le soutien sans faille qu’elle m’apporta, les conseils éclairés qu’elle me prodigua, durant cette première année d’exil.

Après ma brillante année de stage, l’Education Nationale eut l’heureuse idée de m’éloigner de ma famille de quelque cinq cent kilomètres supplémentaires. Je fus muté dans l’Académie d’Amiens, alors déficitaire, c'est-à-dire manquant de professeurs volontaires pour vivre dans le verglas, le brouillard, la pluie et le froid, sous un ciel d’une grisaille uniforme. J’allais y rester dix années de ma vie, et ce malgré mes vœux préférentiels du début de ma carrière d’enseignant, répétés chaque année. Quatre mois après l’installation dans mon poste d’un collège de l’Aisne, réputé, entre autres, pour ses résultats catastrophiques au B.E.P.C., je fus inspecté et titularisé : je devins professeur certifié de Lettres modernes, nommé comme titulaire de mon poste. Pendant quatre ou cinq ans, je me persuadai que ce n’était qu’un travail provisoire, que j’allais trouver le moyen d’échapper à l’indiscipline et à l’insolence des élèves des classes de quatrième et de troisième, sachant que la plupart d’entre eux ne connaîtraient que le L.E.P, dans le meilleur des cas, étant donné leur comportement et leurs très piètres résultats. J’avais une excellente relation avec les petits de sixième et de cinquième qui, en levant la main, m’appelaient parfois « maman »…Mais le collège prévu pour accueillir six cents élèves, en recevait plus de mille et nous devions nous partager tous les niveaux.

La solitude loin des siens, de sa famille, de ses amis, et la pénibilité des conditions de cet enseignement, conduisent progressivement vers la déprime, la dépression et sur le divan du psychanalyste, même s’il m’avait été recommandé pour d’autres motifs : la chronicité de la recto-colite hémorragique que j’allais subir toute ma vie.     

 

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R
bonheur de te retrouver et ravissement de tes textes qui m'émeuvent et me bouleversent ! la vie n'est pas que souffrance, elle est aussi faite d'espoir et d'amour ! <br /> merci d'être de nouveau parmi nous et je t'embrasse très fort !
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F
bonjour,<br /> Je ne savais pas que tu étais professeur,<br /> apprendre autant de choses à pleins d'enfants,<br /> c'est merveilleux, tu laisseras une trace ...<br /> Je sais que c'est dur, je sais pas à quoi on s'acroche,<br /> pourquoi on est jamais passé à l'acte alors qu'on en<br /> mourait d'envie.... Et maintenant qu'on est malade, on <br /> se prend des claques, des douleurs mais on est là...<br /> Bon courage<br /> françois
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J
CHER ANTONIO!!Chaque jour je suis venu sur ton blog avec l'espoir de te retrouver et aujourd'hui tu étais là.Le plaisir de te lire est toujours le même et de connaître un peu mieux ton parcour de vie me plais beaucoup.Merci pour le plaisir que me procure tes pages d'écritures.Je t'embrasse avec toute mon affection JEANNETTE
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