MON DERNIER RECIT 39

Publié le par ANTONIO MANUEL

Je crois qu'il faut admettre enfin, une fois pour toutes, se résigner et se soumettre. On ne peut vivre indéfiniment dans le mépris d'une arrogance pour tout ce qui nous tient lieu de vie en espérant qu'un jour le rêve de l'amour, du bonheur, du battement égal de deux cœurs. Qu'un jour ce fantasme adoré d'une réalité émancipée des lois des déterminations socioculturelles, se substitue imperceptiblement à la fadeur de notre nauséeux quotidien.

Enfin admettre, se résigner, se soumettre à ce que l'on ne sait pas bien comment nommer mais qui enlise notre envol, cet obstacle d'un mur présent bien qu'invisible au bout de soi qui contient la laideur des jours l'un après l'autre, identiques et sans joie, que cette espérance dérisoire ne parvient plus même à éclairer de son halo de lumière fallacieuse.

Car il faut l'admettre et s'y résigner que ces images d'un avenir meilleur n'ont une réalité tangible qu'en introduisant ses mains dans le film projeté du songe sous nos crânes.

Pour ne pas vivre seul, sale, vieillissant et veule, on s'invente une histoire à vivre un jour de gloire qui ne viendra jamais, l'on sait pourtant qu'il faut en accepter l'idée, mais pour ne pas vivre sale, terne, malodorant pareil à un mouchoir hâtivement rempoché après un bref usage, on résiste à l'emphase poussive du présent.

On conserve les limbes de nos si jolis rêves d'adolescents, ceux qui osaient tout espérer, sans limites et sans crainte que nos longues études terminées, la vie puisse nous désenchanter comme un roman de FERDINAND-CELINE. Pourtant les phrases grossières et la vulgarité prosaïque de nos jours, l'un derrière l'autre s'accumulant, ont bien ébranlé le mât de cocagne qui a failli  répandre sur nous le souffle vide de nos espoirs déçus.

C'est sûr, la vie n'est pas du LAMARTINE. Ce serait plus du RONSARD, pervers, flétri, gâteux, se gangrénant, promettant, pour la bagatelle, l'éternité sinistre, d'un portrait tout en dentelles, à une jolie demoiselle, pudique et réticente.

Mais voilà, la vie n'est pas semblable à celle que nous donne à voir la métaphore superbe d'un récit. Elle est toute autre. Plus proche des bâtonnets d'anxiolytiques glissés sous la langue un à un en attendant qu'ils fondent, se délitent et se mêlent à la salive qu'ils épaississent ou avalés d'une gorgée d'eau, plusieurs à la fois.

La réalité des films censurés pour pratique du commerce du sexe ou bâillonnés pour ôter toute voix à la liberté de dénoncer l'injustice, la pauvreté et l'inégalité des pays extrémistes, n'a rien à voir avec ces livres qu'un éditeur voudraient affriolants comme deux jeunes hommes, sur la couverture de ses livres en gros plan, inclinés l'un vers l'autre en l'imminence d'un baiser. Livres censés représenter la vie gay ! Si la gaytitude était cette partie de jambes en l'air perpétuelle, ce débordement des sens en extase continue, tous les hétérosexuels regretteraient de naître hétéros ou de ne pas devenir gays. Ce qui est loin d'être le cas et leur fierté de mâle en rut devant leur femelle domestiquée se révèle clairement dans leurs insultes, leur intolérance et la peur qui les rend hystériques soudain à la vue d'un couple d'homosexuels un peu trop extravertis.

Ma vie est là couchée sagement à mes pieds comme le départ d'un immense tapis de lassitude. Jours étales, jours égaux, semblables au chapelet qu'on dévide pour se rassurer sur son infinitude. Ma vie c'est ce bouquet de ronces défraîchies qui ne m'égratignent même plus.

Plus rien ne m'atteint. J'ai compris la nécessité d'admettre l'impossible défaite du bonheur sur mesure. Mon âme se lamente mais son tourment n'est rien face au silence meurtrier de mon cœur qui prend conscience d'être la cible où mon destin de demi-jour viendra se pendre aux gouttes de sang qui n'auront pas caillé.

Ma rêverie solitaire a pris fin. Je sais que ce sont là mes derniers mots ou presque.

Qu'écrire après ce fiasco d'indifférence où le talent que l'on vous attribue et le don pour lequel on vous loue, ne confèrent pas aux livres écrits l'attrait pour un lecteur supposé aimer ce qu'on a pour lui sélectionné et de laquelle sélection votre ouvrage est exclu.

Je ne me ravis pas d'être vivant. Je ne remercie pas le ciel tous les matins d'être bleu quand autrefois pesaient sur ma tête les nuages plombés d'un ciel d'automne, du début à la fin de l'année. Je ne suis pas enthousiaste : je n'agrippe pas le jour à bras le corps pour une étreinte sensuelle et revitalisante. Je ne suis pas optimiste et le verre pour moi reste indéfiniment vidé de sa moitié.

Il me faudrait la force d'abuser de l'un ou l'autre des remèdes et d'attendre patiemment que le sommeil m'emporte en un aller définitif. Le courage d'accepter l'entièreté de ma désespérance et le poids des sacs d'un ennui éreintant, accroché à moi pour la vie.

Simplement penser que la douleur ne me réveillera pas vers les quatre heures du matin annonçant dans les coups de lames abdominales l'instance d'une nouvelle, de la première, hémorragie du jour.

Plus d'une semaine de souffrance qu'il ne m'intéresse pas de décrire malgré la précision de ses heures d'abondance et les mouvements qui la déclenchent inévitablement. Le sang versé, un goutte à goutte accéléré, s'échappant à gros bouillons et formant rapidement des concrétions d'un rouge épais et cramoisi.

Je ne m'attarde pas. Juste le temps de me rappeler que la nuit sera interrompue de cette façon précise et habituelle depuis plus d'une semaine que la poussée de recto-colite hémorragique, ou une crise inédite de cette maladie de chron nouvelle en laquelle elle aurait muté, a surgi de la quiescence artificielle sans crier gare.

Suavité, douceur, grâce offertes par les mots juste avant l'emportement du sommeil, sans fenêtre sur le rêve. Avant que ma conscience ne se dissolve, impuissante, autre, ailleurs, frappée soudain de cécité, privée d'oreilles et de mémoire, éprouver cet avant-goût de relâchement de la tension de vivre dans l'appel d'un qui ne vient pas. Un avenir, un devenir, un espoir, une attente, un homme, l'autre qui désintègre l'uniformité.

Velours de la peau du fruit défendu, attendu, révéré, prié, par ces mots mêmes ici supplié.

Mes yeux se ferment sur une obscurité dont j'ignore tout de la durée. Sur mes yeux se closent mes paupières : scène d'un théâtre d'ombres aux gestes ralentis. Je laisse ma tête rouler sur mes épaules tandis que ma nuque, tout le haut de mon dos, mes omoplates, se décontractent au contact des ondes annonciatrices d'une fin de veille.

La nuit a allumé partout les signes de son occupation complète de l'espace, cette invasion secrète qui ne nous effraie désormais plus qu'à peine : piège de nos obsessions mais aussi permission d'oser dans le transfert et le travestissement du rêve, le déplacement de ses images investies, le comportement censuré dans l'ordonnancement hiérarchisé du quotidien.

 

 

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J
ANTONIO<br /> Tu dis ma vie c'est ce bouquet de ronces qui ne m égratignent même plus,mais parmis ces ronces Antonio il y à toujours une fleur qui pousse et c est la renaissance et la vie.
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R
je sais que je ne suis que quelqu un d'ordinaire qui devient extraordinaire par cette émotion que tu transcendes à travers l'écriture ! rien n'est laudatif, seulement un avis de lecteur et une émotion que j ai du mal à contenir ! j aime ce que tu écris, et cette souffrance et injustice que nous livrent avec pudeur et poésie . .. je t'embrasse très fort
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