MON DERNIER RECIT 28 ( EXTRAIT )
Il y a cinq jours, ce matin, que je vis dans cette chambre d'hôpital. Vaste pièce comme un studio dépourvu de coin cuisine.
Les cigales habitent le silence de ma chambre d'un frottement aigu et métallique continu. Deux notes juxtaposées, l'une basse un peu comme la scie tronçonnant un gros rondin de bois, l'autre rapide, filante comme une crécelle exaspérée. ( ... )
Une autre heure de lecture de NICOLAS PAGES. Roman entêtant comme un parfum d'hiver, excessif, violent, en plein cœur de l'été. GUILLAUME DUSTAN refusant de nous quitter, un peu comme le patient relié à sa potence. ( ... )
Cette nuit, en me réveillant à trois heures pour aller aux toilettes, l'aiguille du cathéter plantée dans la veine de mon avant-bras droit s'est extraite de sa gangue dont elle a jailli, accompagnée d'un sang giclant qui m'a pris de court et paniqué. L'infirmière appelée a décidé que pour deux jours qu'il me restait à passer à l'hôpital avant mon transfert à Marseille, je prendrais les médicaments oralement.
Plaisir libre d'une douche ce matin. Sensation de fraîcheur, d'impeccable propreté. Puis le déodorant, la crème, le lait. A sept heures, je suis prêt pour achever la lecture des trente dernières pages de COSMETIQUE DE L'ENNEMI d'AMELIE NOTHOMB. (... )
Depuis mon entrée à l'hôpital, tout le monde me dit que j'ai repris un peu de poids. Et cela me contrarie. Sans aucune activité physique comme le yoga ou la marche, j'ai l'impression d'amasser les kilos, des trois repas complets quotidiens, dans tout l'espace de mon abdomen.
Je le vois grossir, s'arrondir et son absence de concavité m'effraie. Je pense que si je devais sortir demain, guéri, je ferais tout pour retrouver les cinquante trois kilos de mon arrivée. ( ... )
Ce retour d'une quasi normalité morphologique me déprime. Comme si mon corps ne disait plus rien de sa souffrance. Comme si on en gommait la tangibilité chaque jour. Mon corps perd peu à peu le pouvoir de faire résonner ma douleur.