DERRIERE LA VITRE DU SILENCE II15

Publié le par ANTONIO MANUEL

 

Ma fuite désespérée me conduisit chez mon frère, dans la maison que mes parents lui avaient cédée au moment du déménagement qui me transporta, à l’âge de quatorze ans, du nord au sud de la France. J’échouai là par évidence. J’étais né dans cette maison et j’y avais passé toute mon enfance. Des souvenirs fondateurs m’y ramenaient et l’assurance d’être en sécurité entre ses murs.

Après avoir passé, chez mon amie et collègue de mathématiques, une nuit d’insomnie, hallucinée par l’apparition soudaine de son fils, par le récit qu’il me fit de ses jeunes années traumatisantes et l’évocation du  calvaire plus récent qu’avait subi toute sa famille, j’avais besoin de repos, de quiétude, de l’affection inconditionnelle des miens.

Mon frère m’attendait, averti de mon arrivée par le coup de fil inquiet de mon amie. Je n’étais pas dans un état rassurant quand je la quittai dans la matinée. L’alcool et les anxiolytiques ne font pas bon ménage…Je me garai en travers du trottoir devant la maison. J’étais harassé, à jeun depuis plusieurs jours. Je ne contrôlais plus vraiment ni mes actes ni ma pensée. Je les retrouvai, son épouse et lui, avec joie. Il n’était plus l’heure  de déjeuner et je refusai, par un mensonge, leur proposition de manger quelque chose. Je n’aurais rien pu avaler. Mon frère retourna au garage qu’il dirigeait en association avec un ancien collaborateur qui avait débuté, comme lui, en tant que simple représentant chez un concessionnaire automobile. Je ressentis monter en moi une angoisse qui eût nécessité la prise d’un lexomil mais j’avais avalé toute la boîte le jour de ma tentative de suicide au domicile de mon collègue de français. Soit trois jours auparavant. La dose massive que j’avais prise me provoquait une sensation de manque insupportable. J’étais comme un drogué sans sa came. J’essayai vainement de contacter un médecin pour qu’il me prescrivît le médicament devenu indispensable. Nous étions un samedi après-midi et bien sûr seules des voix enregistrées répondirent à mon appel. J’essayai de compenser le manque par la prise d’un bêtabloquant qui m’avait été conseillé par ma généraliste pour soigner des migraines rebelles.  J’en dénichai un peu plus d’une plaquette dans le fond de la pochette contenant les seuls effets personnels que j’avais emportés. Il me sembla que mon angoisse diminuât. Je racontai alors à ma belle-sœur, qui me connaissait depuis l’enfance, puisque j’étais le cadet de la famille, né une dizaine d’années après mes quatre frères, les événements qui m’étaient advenus depuis mon départ de la maison que je partageais avec L. Mon récit l’affecta réellement. Elle suggéra que nous allions faire quelques courses en ville pour me changer les idées. Le centre ville me parut minuscule. Je trouvai les boutiques laides et les gens tristes. Sur le parking du supermarché, ce fut une nouvelle déception. Son ouverture m’ avait réjoui à onze ans : il se trouvait sur la route que j’empruntais pour me rendre au collège et tous les jours je constatais, heureux, la progression de sa construction. A partir de son ouverture, tous les matins, mes camarades de classe et moi, nous y faisions halte. La boulangerie, à droite à l’entrée du magasin, nous attiraient irrésistiblement. C’était l’époque où si l’on habitait une petite ville, il fallait se contenter des magasins artisanaux, des drogueries, des commerces modestes qui assuraient la satisfaction de nos besoins quotidiens. Aller en voiture jusqu’à la grande ville, située à une trentaine de kilomètres, était une fête et une expédition qui nous prenait la journée entière. Cela explique notre engouement pour le supermarché lorsqu’il ouvrit ses portes. Je le considérai ce jour là avec désenchantement, comme tout ce que je reconnaissais de cette ville que j’avais tant aimée.

Nous rentrâmes après quelques achats. Depuis la fenêtre de la pièce qui fut ma chambre, je voyais le jardin. Il était enclos dans les limites du grillage le séparant des jardins voisins. Un simple jardinet à mes yeux d’adulte. J’inspectai l’une après l’autre les pièces de la maison tandis que les voix et les visages d’autrefois envahissaient ma mémoire. J’étais chez moi. Il ne pouvait plus rien m’arriver. Et pourtant je n’éprouvai pas le bonheur d’antan, ni même la quiétude espérée.

Mon frère revint un peu avant l’heure du dîner. Il servit l’apéritif que je refusai poliment. Il insista, pensant qu’un verre d’alcool me détendrait. Il ignorait que j’en avais bu toute la nuit. Je cédai à son paternel souci de mon bien-être. J’emploie l’adjectif « paternel » à dessein. Il est celui de mes frères qui ressemble le plus à mon père, aussi bien par son physique que par son caractère. Il avait racheté la maison de mes parents : j’avais établi une relation avec lui comparable à celle qui peut unir un fils à son père. Je tentais inconsciemment de réécrire mon histoire avec mon géniteur. Une histoire où le père acceptait l’homosexualité du fils, dans laquelle il lui était possible de se confier sans redouter son jugement ou pire son reniement. Je bus  le verre qui m’était offert. Après avoir bavardé, nous passâmes à table et je fis l’effort de manger. Puis nous regardâmes un film télévisé avant la fin duquel, je me retrouvai seul sur le canapé du salon. Je montais dans l’intention, moi aussi, de dormir, enfin.

Les heures commencèrent à s’égrener lentement, pesantes et poisseuses. Les images tourbillonnaient dans ma tête et l’angoisse s’accentua. Je cherchai encore une  fois, frénétiquement, un bâtonnet de lexomil coincé dans la couture d’une poche, ou  tombé, par hasard, entre les pages de mon carnet de chèques…Recherche vaine. Dépité je me rabattis de nouveau sur les seuls médicaments en ma possession. J’avalai un second bêtabloquant. J’attendis d’en ressentir l’effet enfoui frileusement sous les couvertures. Mon frère m’avait promis que nous irions, le lendemain, voir la mer comme nous le faisions, en famille, lorsque j’étais enfant et que le temps s’y prêtait. J’essayais de m’endormir, bercé par les souvenirs que j’avais conservés des grandes marées, debout sur les galets des plages de la mer du nord, scrutant au loin le signal du jusant. De longues minutes s’écoulèrent dans le silence de la maison familiale, traversé par le craquement nostalgique d’une marche de l’escalier de bois ciré.

Las, vaincu par le violent ressac de l’angoisse, je terminai les deux plaquettes de comprimés.

Je fus pris d’une sensation d’oppression intense qui me contraignit à sortir de la maison pour marcher un peu dans la rue déserte à cette heure de la nuit. J’allai jusqu’au bout de la rue et tournai à droite en direction du centre ville. Je gagnai assez rapidement la place du marché bordée de marronniers. Je m’assis un instant sur un banc qui jouxtait une cabine téléphonique.  Il était tard. J’hésitai quelques secondes et j’appelai mon ami professeur d’anglais. Je le réveillai sans doute. Alarmé par l’heure de ce coup de fil, il s’enquit aussitôt de son motif. Je narrai pour la énième fois les faits depuis mon séjour à l’hôpital. Je n’eus pas besoin de lui avouer ce que je venais de faire. M’exprimer distinctement m’était de plus en plus difficile. Il me demanda où je me trouvais précisément. Je le lui dis.

Dans un sursaut de lucidité, j’abandonnai le combiné du téléphone, pendant à l’extrémité de son fil gainé de métal, et me rappelai, pressentant le danger, que la clinique était un peu plus haut, juste à côté de la grande bâtisse du docteur S. de la fille duquel je tombai amoureux en classe de cinquième. Je découvris avec effroi qu’elle n’existait plus.

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B
Bonsoir Antonio, j'ai lu ton nouveau texte en rentrant du travail et il m'a beaucoup plu. Je me demande seulement ce qui te pousse à te torturer comme ça...<br /> Je comprends que l'écriture t'aide énormément. Et c'est quelque chose que tu fais très bien.<br /> On peut, c'est vrai, ressentir douloureusement ton texte mais au moins tu nous fais partager ta souffrance. Et tu le fait avec talent.<br /> Allez, il faut que j'aide les petits à faire leur devoir et hop à la douche!<br /> A demain.
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P
hello!! et oui,beaucoup de choses changent,évoluent et souvent en bien.Tu sais quoi? Je souhaite vraiment que toi aussi dans ta vie les choses changent en bien!Ne reste pas sur ton passé,de tout mon coeur je te souhaite une guérison de l'âme et du corps pour que ta vie soit plus belle!gros bisous
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M
Coucou toi,<br /> Même si nous gardons nos âmes d'enfants, nos regards changent malgré tout, et nos petits villages évolue... Même les grandes villes tu sais, moi même ayant passer mon enfance dans une ville ou certains films ont été tourné (dont un avec notre regretté Coluche) car elle est célèbre pour sa prison elle a beaucoup évoluée parfois pas dans le bon sens ... et justement les endroits ou avait été prise certaines prises de vues ont aujourd'hui disparu...<br /> Une fois de plus tu réveilles en moi les souvenirs de mon enfance parfois doux et agréables et d'autres plus déchirants... Ainsi est la vie ;o)<br /> J'aime te lire et te découvrir, et je sais combien cela te fait de bien de partager ceci avec nous.<br /> Je t'embrasse fort mon ami.<br /> A très bientôt
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R
Bonjour ! un petit coucou de réconfort : la vie n'est pas un long fleuve tranquille ! on revient toujours vers sa famille qui ne juge pas, qui ne dit rien mais qui accepte ! le passé a été douloureux, alors que ton présent soit serein ! je t'embrasse
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J
Bonjour ANTONIO,Le pays de notre enfance ou souvent l'on vient se réfugier pour rechercher des souvenir heureux et nous réconforter retrouver nos racine sa famille on en toujours besoin .Je t'embrasse .Jeannette
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