DERRIERE LA VITRE DU SILENCE 2

Publié le par ANTONIO MANUEL

En fait, ce n'est pas tant le silence qui nous effraie que les paroles qui nous font signe vers le néant.
Elle a pénétré dans la chambre de l'hôpital hier, quelques heures après la coloscopie. Elle a marché jusqu'à mon lit et s'est adossée au
mur côté fenêtre. Dans son discours, le néant a pris face inhumaine. Remaniement, IMMUREL, REMICADE, opération, des mots qu'elle a lâchés dans la débâcle de mon cerveau encore engourdi par l'anesthésie. Elle est jeune, plus jeune que moi, je ne sais pas pourquoi ce matin elle porte un grand pansement sur son cou. Juste avant que l'on m'endorme, au bloc opératoire, je l'ai regardée marcher de long en large l'air renfrognée, soucieuse, triste...tandis que l'anesthésiste s'y reprenait à deux fois pour m'enfoncer le cathéter dans la veine. Puis le vide, l'absence de toute mémoire, une sorte de mort j'imagine. Et la voilà sur ma gauche confuse et compassée, alarmiste, précise dans son évocation du pire, en retrait soudain rassurante. Si bien que j'aurais un mal fou à saisir le degré de gravité de mon état, tout ce que je retiens c'est l'attente affolante des résultats de la biopsie. Qu'elle se félicite de sa décision de cette nouvelle coloscopie, grand bien lui fasse. Si ce n'est l'affirmation d'une muqueuse très enflammée, de son discours ne surnagent que ces quatre mots qui évoquent la nécessité d'un traitement autre, plus puissant, aux effets secondaires bien plus dangereux ou l'ultime recours de l'ablation du colon : remaniement pour désigner le processus possible de mutation des cellules en cancer, IMMUREL et REMICADE les médicaments anti-rejet employés lors de greffes d'organes du fait de leur pouvoir immuno-suppresseur intéressant dans le traitement de cette pathologie auto-immune, c'est à dire où la folie du corps consiste à se détruire consciencieusement comme s'il se défendait de la présence d'un corps étranger, le corps se devenant à lui même étranger, l'aliénation du corps obéissant à je ne sais quel message par lui seul audible, et l'excision de l'intestin avec tout ce que ce mot renferme de douleur et de désarroi, brutalement entendre l'énoncé de son futur d'handicapé, pourvu par défaut d'une prothèse pour recueillir les excréments…
Quant à la psy dont la consultation me fut recommandée, par le gastro qui diagnostiqua ma pathologie quinze ans auparavant, du fait de sa chronicité, autrement dit de sa permanence dans ma vie, elle ne me fut pas d’une grande aide en l’occurrence, suggérant que j’avais amplifié les propos de la spécialiste, que je ne considérais que le négatif. Elle me laissa sevré de tendresse et d’amour, en manque de cette chaleur que l’on dit humaine, d’espoir, d’envie de vivre ; me renvoyant après lecture de ce blog dont je lui avais communiqué l’adresse au livre de ROGER-PAUL DROIT, Le culte du néant. Il est vrai qu’elle m’avait déjà explicité l’attitude, pour moi difficile à concevoir, de CHRISTIANE SINGER, m’invitant à imaginer l’éternité où selon elle l’écrivaine évoluait comme un espace supérieur infini. Du moins c’est ce que je compris, sans que cet espace d’une jouissance spirituelle illimitée me devînt pour le moins accessible. Je me sentis solitaire, prisonnier d’un destin que je n’avais pas choisi, confronté à cette incapacité à communiquer sa propre perception du réel que j’avais pu théoriser lors de mon approche du théâtre de l’absurde grâce à BECKETT et à IONESCO. Un peu comme un personnage de tragédie en proie à un destin inéluctable sauf que là j’étais dans la vraie vie, pas le héros d’une œuvre de RACINE. Et que la catharsis ne risquait pas d’exercer sur moi son pouvoir d’exorcisme vu que je ne pouvais m’inspirer à la fois terreur et pitié et m’en sentir délivré du même coup ! L’hôpital était un lieu sordide, de solitude et de misère. Les gestes et la compassion des soignants des automatismes. Le froid partout dans le corps nu sous le drap et dans l’âme désertée. Et ce n’est pas la journée consacrée à l’information sur les causes, les traitements et les prises en charge de la maladie d’Alzheimer qui allait me redonner du baume au cœur ! Hier ma joie était en berne, mon enfance dans les limbes, mes espérances dévastées par le Spleen. Jusqu’à mon généraliste connu depuis mes quinze ans qui ne pouvait me recevoir, débordé, indisponible. J’étais seul, avec ma mère dans les yeux gris-vert de qui je lisais la détresse, une désolation accrue parce que pour moi elle restait la détentrice de la consolation sans condition, la dispensatrice du pardon, de la grâce d’être au monde par ses soins, la souveraine, la toute puissante et que je l’appréhendais dans sa fragilité, dans sa bouleversante inaptitude à me porter secours ; avec les autres aimés plus ou moins forts mais avec qui les mots sonnaient comme un chagrin impossible à partager. Leur dire ma peur, mes émotions c’était me plaindre et me heurter aux limites de leur condition d’hommes comme moi mortels et vulnérables. C’était éprouver plus durement la faiblesse de la créature à qui ne parviennent pas les mots d’Amour du Père. On en revient toujours à Dieu qui inventa la cortisone dont les soixante milligrammes prescrits me sont une bénédiction même si je sais qu’elle ne peut être que provisoire puisqu’il s’agit d’un remède efficace mais de courte durée si l’on ne veut pas pâtir de ses effets indésirables.
La nuit s’est avancée discrète : je vous écris du sentiment étrange qu’elle procure de grandeur et de finitude. Dans son orbe de silence et dans la sensation que la solitude parce qu’elle est recherchée, parce que tant d’autres dorment déjà, est une suprématie. Mais sans doute est-ce parce que je vous présuppose, lecteur idéal, « mon semblable, mon frère ». En vérité, je veille encore pour vous, pour le subtil plaisir de vous imaginer creusant dans mon sillon mon chemin de hasard. J’attends que les mots tracent sur une porte étroite le hiéroglyphe sacré qui dévoile tous les sens de tous les textes écrits. Au fond de moi j’espère qu’ils rendront signifiants ma rancœur et ma peine. Je leur suis redevable déjà de m’aider à faire naître le souvenir de PROUST, ne s’alimentant plus que de bières blondes et fraîches persuadé que cette diète imposée autrefois par sa mère qui alors le guérit allait venir à bout de cette pneumonie qui l’emporta, dictant à sa plume frénétique sur des bandelettes de papier collées, afin d’épuiser la clarté aveuglante du réel, la vie vraie qu’est la littérature. Redevables de restituer vif le fabuleux appel de Bianchon, le médecin récurrent de La Comédie humaine, par son créateur BALZAC, divinement convaincu par l’agonie qu’il viendrait bien réel lui prodiguer sa science. Redevable enfin de l’espoir qu’ils nourrissent en moi de comprendre ma faim parfois inextinguible et mon anorexie toute aussi impérieuse, cette perfection de ma forme tangible à laquelle par le yoga j’aspire…tout cela qui n’est rien d’autre sans doute que la volonté de ne pas mourir ou bien la peur de vivre et de vieillir…

 

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J
A quel Dieu étrange avons-nous affaire? Cet être lointain dont la puissance et la brutalité nous déconcertent, ou cet individu complice, rassurant et empathique qui invente la cortisone? Ne s'occuperait-il que des esprits? Les corps sont-ils si haïssables?<br /> Je crois que c'est justement Proust qui a dit qu'avoir un corps c'est la grande menace pour l'esprit, ou quelquechose dans ce goût-là.<br /> La douleur et la foi sont peut-être liées comme le sont le cerveau et le coeur?
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C
Peine, compassion, impuissance, remords sont les émotions que j'ai ressenties à la lecture de ce texte si beau. Je m'aperçois alors à quel point ta souffrance est grande et découvre vraiment l'ampleur de la maladie. Beaucoup de pensées se bousculent en moi, mais je ne trouve pas les mots justes. Je te souhaite l'apaisement du corps et de l'esprit et t'embrasse.
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